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En ces temps où le monde se redessine dans les mêmes tourments que  lors des révolutions agricoles, industrielles,  scientifiques, j’ai voulu écrire la réalité des choses, loin de celles imaginées par « l’homo algorythmus » qui étouffent lentement nos rivières, nos bois, nos montagnes et font disparaître tous nos animaux qui sont aussi notre  communauté.


Délibérément, le monde a été amputé de ce qui fait sa permanence : « la nature, la mer, la colline, la méditation des soirs. »  (Noces. Albert Camus)
J’ai grandi dans le bled algérien, dans un de ces moments miraculeux où la religion avait plus le sens d’une tradition que celle d’une identité. C’est pourquoi nous partagions tout jusqu’aux fêtes. Noël ou l’Aïd el Kébir étaient des jours unificateurs.
J’ai grandi dans ce pays,  mais d’abord dans la montagne. 
Imaginez un enfant sur des milliers d’hectares de pins d’Alep, de cèdres, surmontés de rochers noirs dentelés et emplis d’animaux libres, chevaux, ânes, mulets, chacals, chiens, écureuils, belettes, lapins et tous les volatils des ciels et des poulaillers plus quelques hyènes égarées, et volant dans les ciels de ces terres vivantes, le gypaète regardait la manne que lui offrait bien au-dessous les déchets des petits hommes.
J’ai été imbibé de la grandeur de ce pays qui offre à l’homme un terrain pour se construire plus grand. Meursault, l’Etranger,  pour moi n'est donc pas une épave. Il est l’homme indigent et nu, amoureux d’un soleil sans ombres. Une ardeur profonde l'anime, la passion de l'absolu et de la vérité.
Ce pays était donc la forge de ce type d’hommes.
Je parle de mon pays natal, de sa diversité de peuples, de son immensité généreuse, de sa beauté lumineuse et noire, de sa richesse culturelle qui était en cours de générer des hommes originaux entre l’esprit d’Occident et la chair d’Afrique.
L’Oiseau des profondeurs est donc un livre à la gloire de l’Ouarsenis, du mont Sidi Amar qui culminait à mille neuf cent quatre-vingt mètres, de son froid blanc d’hiver et de son blanc lumineux d’été.
L’Oiseau des profondeurs est un chant des temps révolus où la religion et l’argent avait moins de sens que le lait de chèvre partagé et le coucher du soleil admiré ensemble.


Dans ces lieux, j’ai parlé aux arbres, aux fleurs, aux bêtes, aux nuages et je suis tombé amoureux d’un cheval.
Sur ce socle, les hommes m’ont appris le silence, l’écoute de l’eau de la fontaine, le regard tendu vers l’horizon et l’attente de la voix du conteur, mouvante comme vagues de syllabes, afin que  chacun se sente détenteur d’un chant commun et d’une histoire collective.
Il s'agit d'une vérité encore abrogée, la vérité d'être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi ne sera jamais possible.

J’aimerais dire à Camus qu’il est aussi Algérien que moi et tous les Algériens sont fiers de lui, mais aussi qu’il fut un temps, pas très lointain, où l’Algérien musulman, pour aller en France, avait besoin d’un passeport. C’est vrai que l’Algérien musulman, lui, ne s’est jamais considéré comme Français. Il n’avait pas d’illusions. » dit Mouloud Feraoun, dans le Journal, le 18 février 1957. 
Je ne suis pas d’accord. Nous étions tous algériens. L’erreur est politique.
Je voudrai dire aux habitants de l’autre rivage, celui que j’ai quitté, que L’Oiseau des profondeurs nous appartient car nous avons la même culture.
Je conclurai en vous garantissant que je n’ai qu’une patrie la langue française et que la poésie peut être révolutionnaire.

J’ose la révolution !

Louis Bachoud29/06/2017